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mercredi 1 avril 2015

A quoi peuvent bien servir les collections dans les bibliothèques territoriales du 21e siècle ?


https://interpretelsf.files.wordpress.com/2013/06/couteau-suisse-multifonction-victorinox-ranger.jpg
Les missions des bibliothèques du XXIe siècle ont considérablement évolué. 

De nos jours, une bibliothèque municipale ou intercommunale n'est plus une épicerie à livres, dans laquelle on entre, on se sert et on repart. C'est un lieu de rencontres, de services et d'échanges (oui, il y a des toilettes pour faire pipi, mais pas seulement).

Je vais citer - une nouvelle fois - Anne-Gaëlle Gaudion, bibliothécaire de la région parisienne, qui postait récemment le message suivant sur un réseau social à propos de ce que devaient être ces missions : 
« ... (ne plus être des bibliothèques de prêt, mais des bibliothèques de loisirs et/ou des bibliothèques inclusives, tout en intégrant la dimension numérique). Je rencontre malheureusement trop souvent des bibliothécaires qui ne veulent pas qu'on touche à leurs collections imprimées alors qu'une minorité les consultent et les empruntent ... »
Source : Facebook
 
Je suis en grande partie d'accord avec cette assertion. Les collections en bibliothèque territoriale n'ont pas à être conservées ad vitam æternam pour le seul principe de leur existence. Ne serait-ce que parce que d'autres bibliothèques se chargent de la conservation (la Bibliothèque Nationale de France, ses Pôles associés et les bibliothèques patrimoniales).

Et même, pour aller plus loin, voyons donc cette citation tirée d'un forum bien connu :


« Est-il suffisant pour un musée, une bibliothèque ou un centre d'archives de posséder une collection importante de documents ou d'objets d'art pour atteindre le public le plus large ? »


En réponse à cette question, Bernard Majour, contributeur bien connu d'Agorabib et commentateur émérite sur un certain nombre de blogs professionnels, répond :
 
« Ce n'est pas la collection importante de documents ou d'objets qu'il faut prendre en compte, mais la qualité de l'équipe en charge de cette collection. »  
Source : Agorabib



Une réponse que j'approuve absolument. Je l'ai assez répété ici ou : c'est le bibliothécaire qui fait la qualité du service, pas le contenu de la bibliothèque.

Mais dans ce cas, à quoi cela peut-il bien servir de continuer à prendre soin des collections dans une bibliothèque aujourd'hui ?

Dans un article précédent, en commentaires, j'ai dit à un·e internaute que l'important n'était pas forcément la quantité de documents que nous mettions à disposition des usagers, mais leur pertinence. Pour une raison toute simple : la quantité ne dépend pas de nous, puisque nous ne sommes pas les bailleurs de fond (quoi qu'on en aie, mais c'est un autre sujet...). En revanche, la pertinence est entièrement de notre ressort.

La collection, c'est un outil, pas une finalité. Cet outil sert à rendre des services aux usagers. C'est un outil parmi d'autres, qui aide le bibliothécaire à effectuer ses missions.

La collection étant un outil, elle nécessite de l'entretien. Comme une voiture ou une presse à injecter. Notre rôle est d'en prendre soin. L'affûter, pour la rendre plus tranchante. La rénover, toujours. La gratter et la polir pour enlever la rouille et faire en sorte qu'elle revienne moins vite. Augmenter son efficience en la rendant aussi multifonction que possible. Bref, nous devons nous en occuper, car un outil rouillé, ébréché et vieillot ne sert plus à personne. Et devient, pour le coup, bon à jeter.

Je prends la peine de préciser cela car la tendance lourde des bibliothèques territoriales aujourd'hui est de passer la majeure partie de son temps de travail sur les autres missions : programmation culturelle, co-construction de projets, accueils et intervention auprès des groupes spécifiques, services diversifiés aux publics durant les heures d'ouverture, qui sont toujours plus étendues (qui n'a pas entendu parler de l'amendement d'Aurélie Filipetti sur l'ouverture des bibliothèques le dimanche introduit dans la loi Macron ?). Cette tendance répond à une nécessité, aucun doute là dessus.

Mais ce que je déplore, moi, c'est que le temps passé à travailler sur les collections s'est tellement réduit dans les équipes de bibliothécaires que lesdites collections finissent par devenir en grande partie inutiles, car inutilisées, faute de pertinence et d'adaptation aux besoins réels des publics. 
Alors même que les outils de gestion de collection, nos fameux SIGB, sont de plus en plus performants et nous permettent de faire des miracles difficiles à réaliser il y a encore dix ans.

Je considère que cette propension à l'inutilité ne provient pas de la nature des supports, qu'ils soient papiers ou numériques, et encore moins du désintérêt supposé des lecteurs pour les fonds d'une bibliothèque.
Le lecteur est intéressé par ce qui lui parle, ce qui lui est utile. Si la médiathèque lui propose des services qui entrent dans cette catégorie, quel que soit le support de médiation du service, il sera intéressé. Le tout est de lui proposer une ressource pertinente, qui réponde rapidement et exactement à ses attentes, exprimées ou non.
Si on met dans les mains d'un môme qui cherche des infos sur l'histoire des mathématiques un livre, ouvert au chapitre qui parle de cela, il passera par dessus sa répulsion instinctive du support papier* pour lire le contenu, parce qu'il contient la réponse à sa question.

Bref, on pourrait se dire que je sors tout droit des années 1970 ou 1980, à donner l'impression de m'orienter collections plutôt que publics. En tout cas, je sais que c'est ainsi que je suis perçue par mes supérieurs hiérarchiques, pourtant plus âgés que moi (oui, je suis la plus jeune de mon équipe). Pourtant, j'ai beau m'interroger sur mes pratiques, je n'ai pas la sensation d'être à côté de la plaque, parce que quand je m'occupe de mes collections - enfin, quand j'ai le temps - , je pense d'abord et avant tout à mon public, réel et potentiel.

Alors, dis moi, cher lecteur, qu'en penses-tu ? Suis-je, ou ne suis-je pas [à côté de la plaque] ?




* ne riez pas, j'ai rencontré ce cas récemment chez une collégienne qui a presque sursauté d'horreur à l'idée d'ouvrir un livre en papier pour ses recherches. D'ailleurs, un collègue a tiré profit de cette anecdote pour écrire un article très intéressant sur la recherche d'informations validées sur Internet.